Droit rural et conditions de vie des agriculteurs

Tout au long du roman, Éric Fottorino expose les conditions de vies difficiles des agriculteurs, et notamment les problèmes financiers de la famille Danthôme. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Brun finira par vendre une partie des terres des Soulaillants pour qu'y soient installées des éoliennes, assurant à son fils Mo une stabilité financière pendant plusieurs années.
Au fil de la lecture, on découvre les conditions de vie de la famille Danthôme depuis plusieurs générations qui est présentée comme une famille économe où l'on mange uniquement ce que l'on produit et où l'on ne voyage pas. Brun évoque les hivers rudes où il fallait brûler des meubles pour pouvoir chauffer la maison. Nourrir et soigner les animaux passent avant tout car sans les bêtes il n'y a plus de travail et l'exploitation cours à sa perte.
Les difficultés financières des exploitants agricoles s'expliquent notamment par les investissements financiers conséquents, nécessaires à l'exercice de leur activité. Le droit rural doit cette fois faire face à un défi éthique qui vise à permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail. Pour ce faire, un important dispositif d'aides publiques existe depuis plusieurs années et a évolué. En outre, pour faire face aux risques liés à cette activité, le droit rural instaure des modèles d'exploitation qui visent à protéger le patrimoine personnel de ces travailleurs.
- Des aides publiques au service de l'éthique
Les aides publiques dépendent largement de l'UE et de la politique agricole commune (PAC). En 2017, 41,5 milliards d'euros ont été attribués à 6,5 millions de bénéficiaires européens. En moyenne, 6 384 € sont alloués par agriculteur.
Pour mieux comprendre la PAC il faut remonter à l'époque de l'après guerre. En effet, la PAC est lancée en 1962 afin d'aider le secteur agricole à faire face aux défis techniques et commerciaux. Cette aide prend alors la forme d'une intervention publique sur les prix, mais ce système n'étant finalement pas satisfaisant, il évoluera plus tard afin d'intervenir directement sur les revenus des exploitants.
Première étape : l'intervention sur les prix
L'idée de la PAC était de permettre aux agriculteurs européens de faire face à la concurrence mondiale et de leur garantir un niveau de prix suffisant pour vivre décemment de leur activité. Le mécanisme était le suivant : taxer les importations et subventionner les exportations. Le système reposait sur le concept de prix d'intervention, c'est-à-dire de prix déterminés pour chaque denrée. Cette intervention a tout d'abord eu des effets très positifs pour les agriculteurs puisqu'en leur assurant des débouchés, leurs investissements étaient plus sécurisés. Ce qui a permis de dynamiser leur production et leur rendement. Néanmoins, les effets néfastes d'une telle politique se sont rapidement fait ressentir, entraînant un coût exorbitant pour les autorités publiques et des effets dévastateurs sur l'environnement. La PAC montrait déjà ses limites. Il faut y ajouter d'importants déséquilibres entre les bénéficiaires : les subventions étant liées aux prix, elles profitaient davantage aux grosses structures et les producteurs qui en tiraient les meilleurs avantages étaient ceux qui n'en avaient pas besoin. Une réforme de cette politique était de mise.
Deuxième étape : l'intervention sur les revenus
À la fin des années 80, le système d'intervention sur les prix est progressivement abandonné au profit d'un système d'aide directement attribuée aux agriculteurs, bien qu'il soit critiqué par les agriculteurs qui craignent la fonctionnarisation de leur profession. Concrètement, une prime compensatoire est instituée pour l'ensemble des productions. Plusieurs réformes ont eu lieu sans pour autant remodeler le système, ceci bien que l'Europe se soit beaucoup élargie depuis. La dernière en date : PAC 2023-2027, se veut plus verte et plus juste. En effet, pour bénéficier des aides, il faut non seulement respecter certaines conditions environnementales mais aussi certaines règles du droit social et du travail européen. Elle tend également à renforcer le soutien aux jeunes agriculteurs en imposant aux États de leur consacrer au moins 3 % de leur enveloppe annuelle.
Malgré ces aides il peut s'avérer que l'exploitation doivent faire face à des difficultés de plus grande ampleur et qu'elle se retrouve alors en faillite.
- Protéger l'exploitant agricole des risques liés à son activité
L'activité agricole peut être exercée de différentes manières : sous la forme individuelle ou sous la forme sociétaire. Quelle que soit la structure choisie le législateur à veiller à limiter l'impact des aléas de l'activité du professionnel sur le patrimoine personnel de l'agriculteur. Voyons donc les mécanismes proposés afin d'aboutir à cette protection.
1. La protection de l'exploitant exerçant son activité à titre individuel
Ce système d'exploitation présente un difficulté majeure qui est d'ordre patrimonial. Étant donné qu'aucune personne morale ne fait écran entre la personne et son activité, les intérêts personnels et professionnels sont mélangés. Il faut donc veiller à limiter les risques liés à l'activité sous forme individuelle pour l'agriculteur. Pour cela, l'article L526-1 du Code de commerce prévoit depuis le 6 août 2015 l'insaisissabilité de l'immeuble dans lequel l'exploitant agricole a fixé sa résidence principale. Les créanciers dont la dette résulte de l'exercice de l'activité professionnelle ne pourront donc pas saisir ce bien qui échappera à l'assiette de leur droit de gage. Toutefois, ils pourraient obtenir de leur débiteur qu'il renonce à ce droit, et cette pratique est d'ailleurs courante. Il a donc fallu penser à d'autres mécanismes pour protéger efficacement le patrimoine personnel du professionnel endetté.
Le statut d'entrepreneur individuel agricole à responsabilité limitée en est un. En effet, en adoptant ce statut, l'entrepreneur a la possibilité d'établir une cloison entre un patrimoine professionnel et son patrimoine personnel. Pour aboutir à cette séparation des patrimoines, des biens seront affectés à son activité professionnel et serviront à répondre des dettes liées à cette activité. Dès lors, les créanciers dont la dette n'est pas liée à l'activité professionnelle ne pourront saisir ces biens, et inversement. En définitive, le législateur souhaiterait imposer ce statut, pour l'heure optionnel, à tout les entrepreneurs.
2. La protection de l'exploitant exerçant son activité sous forme sociétaire
S'agissant des agriculteurs qui choisissent d'exercer leur profession sous la forme d'une société, le législateur a également prévu des formes qui visent à limiter les risques liés à la profession, sur le plan personnel. Ainsi, depuis la loi du 11 juillet 1985 relative à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l'exploitation agricole à responsabilité limitée, l'agriculteur peut s'associer au sein d'une exploitation agricole à responsabilité limitée. Cette structure peut tout à fait se composer d'un seul associé, pour lui permettre de protéger son patrimoine. En effet, les associés d'une telle exploitation ne supporteront les pertes qu'à concurrence de leurs apports, ce qui signifie que si l'exploitation rencontre des difficultés financières, les associés ne perdront tout au plus que leur apport.
En instituant ces différents mécanismes, le droit rural assure des conditions de vies décentes aux agriculteurs ainsi qu'une protection dans le cadre de leur activité professionnelle qui nécessite souvent de colossaux investissements.